En Afrique, les Systèmes d’Information de Marché (SIM) jouent un rôle clé dans la collecte et la diffusion de données agricoles. Bien qu’apparus dans les années 1980, ces outils ont profondément évolué avec l’essor des technologies numériques. Désormais portés par des acteurs privés, les SIM suscitent un regain d’intérêt dans plusieurs pays, notamment au Bénin. Fin avril, l’application mobile Ki@, dédiée à l’information sur les marchés du riz et du maïs, a été officiellement présentée. Stanislas Koussahoué, chargé du Suivi-Evaluation et point focal du projet au sein de Africa Green Corporation (Green SA) revient sur les enjeux économiques de cette innovation pour les filières agricoles béninoises.
Quels besoins précis des producteurs béninois l’application Ki@ cherche-t-elle à résoudre ?
Stanislas Koussahoué : Déjà il faut noter que l’application Ki@ est l’un des résultats du projet « Faciliter l’accès au Système d’Information sur le Marché (SIM) par téléphonie mobile aux acteurs économiques des chaînes de valeur riz et maïs au Bénin (BoMeF-AGriDI). L’idée derrière cette initiative est que les acteurs économiques, notamment les producteurs et les commerçants, ont besoin d’information en temps réel pour prendre des décisions éclairées de vente ou d’achat de leurs produits.
Dans le cas d’espèce, l’application aide l’utilisateur à faire des arbitrages éclairés sur les marchés du riz et de maïs au Bénin pour évaluer comment il peut engranger le plus de bénéfices. Le projet BoMeF-AGriDI s’est fixé comme défi de fournir en temps réel l’information juste sur les prix du riz et du maïs sur 6 marchés dans 6 communes du nord du Bénin, qui comptent dans l’offre nationale de ces céréales majeures que sont notamment Bassila, Bembéréké, Nikki, Kandi, Gogounou et Kouandé.
Notre ambition est d’aller au-delà juste du prix pour ajouter à moyen et à long terme d’autres fonctionnalités comme les informations liées à l’accès au crédit, aux bonnes pratiques agricoles de production et de conservation et surtout aux prévisions météo, dans un contexte de changement climatique où des facteurs importants comme la pluviométrie sont de plus en plus imprévisibles.
« L’application aide l’utilisateur à faire des arbitrages éclairés sur les marchés du riz et de maïs au Bénin pour évaluer comment il peut engranger le plus de bénéfices. »
L’application Ki@ nécessite un smartphone et une connexion internet. Or, de nombreux producteurs en zones rurales n’ont ni l’un ni l’autre. Comment avez-vous intégré cette réalité dans votre stratégie de déploiement ?
Merci pour cette question. Initialement, il était prévu d’intégrer en dehors de l’application mobile, un système qui permet aux acteurs d’avoir des informations avec des téléphones qui ne sont pas connectés à internet. Etant limité par le temps et les ressources disponibles dans le cadre du projet, ce volet n’a pas pu être pris en compte. Toutefois, cette option tient toujours avec la possibilité pour les utilisateurs de recevoir des codes ou des appels pour les informer sur les tendances du marché directement en langues locales. Dans le cadre des objectifs du projet BoMeF-AGriDI, nous avions d’abord choisi de tester l’option smartphone. L’interface reste très basique avec une facilité de prise en main. Sur le terrain, les agents ont sensibilisé les acteurs économiques avec des supports de communication, des flyers et des vidéos en langues locales.
« Cette option tient toujours avec la possibilité pour les utilisateurs de recevoir des codes ou des appels pour les informer sur les tendances du marché directement en langues locales.
L’une des critiques vis-à-vis des SIM porte sur le système de collecte de données. Les enquêteurs sont répartis dans les zones ciblées et relèvent sur place les informations qui par la suite remontent vers une cellule centrale. Comment vous assurez-vous de la fiabilité des données fournies sur le terrain ?
Il faut dire qu’il existe une interface de la plateforme Ki@ qui n’est accessible que pour les agents. Ceux-ci sont formés et sont autorisés à y accéder pour pouvoir collecter l’information sur le marché. Ces agents collecteurs de marché sont formés sur une méthodologie précise pour enregistrer chaque jour de marché et à des moments précis de la journée des informations sur le marché auquel ils sont affectés. L’application est basée sur l’historique des prix et une caractérisation des différents marchés suivis.
Cela veut dire que lorsqu’un agent intègre un prix qui n’est pas dans la fourchette de données sur un marché précis, l’application n’accepte pas de tels chiffres. De plus, pour pouvoir enregistrer des prix, l’application oblige les agents à rester dans une tranche de prix acceptable et à géo-référencer leur position. Il s’agit d’une précaution pour éviter qu’un agent reste chez lui hors du marché ou dans une autre ville du pays pour collecter ou envoyer des informations via la plateforme et assurer que les informations collectées reflètent le plus possible les réalités du terrain.
« Lorsqu’un agent intègre un prix qui n’est pas dans la fourchette de données sur un marché précis, l’application n’accepte pas de tels chiffres. »
Sur les marchés agricoles, en général, l’information sur les prix est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante à elle seule. Dans certains cas, les acteurs ont besoin d’information sur les raisons de la hausse ou la baisse des céréales pour prendre d’autres décisions. Est-ce qu’il y a d’autres services auxiliaires qui sont prévus ?
Effectivement. La plateforme se prête à des modifications, des intégrations et des mises à jour. Il est vrai que l’information sur les prix n’est pas suffisante. Mais pour un début, l’idée a été de se concentrer sur ce paramètre du marché. Les options où l’on fournit des informations détaillées sur les raisons qui pourraient justifier des variations des prix sont intéressantes. C’est bien possible de les intégrer à long terme.
À ce jour, quelle est la portée de l’application dans les régions où elle a été lancée ?
Actuellement, dans le cadre du projet BoMeF-AGriDI, nous avons sensibilisé 13 024 acteurs économiques qu’il s’agisse des producteurs, des commerçants et des transformateurs sur une période de 38 mois. Dans notre base de données, il y a actuellement 7 615 acteurs qui ont installé l’application et environ 1 650 personnes qui l‘utilisent effectivement. Pour connaître notre impact, nous disposons d’outils de suivi et d’évaluation pour suivre comment les données évoluent sur le terrain. Nous avons eu d’ailleurs à ce sujet des retours positifs avec 94 % des acteurs qui ont affirmé être satisfaits de l’utilisation de Ki@ lors d’une enquête de satisfaction. Certains utilisateurs ont témoigné d’une amélioration de leurs revenus agricoles jusqu’à hauteur de 10 %.
« Certains utilisateurs ont témoigné d’une amélioration de leurs revenus agricoles jusqu’à hauteur de 10 %. »
L’application Ki@ est gratuite dans le cadre de votre projet qui s’est achevé fin avril. Quel modèle économique garantit sa pérennité ?
La pérennisation de Ki@ a été prise en compte dans le cadre du projet finissant. En effet, un plan de durabilité de Ki@ a été élaboré par un consultant externe. Cette feuille de route intègre différentes options qui permettent à l’application de s’autofinancer, les investissements à faire, les frais d’abonnement, les sources de revenus possibles par exemple. Le projet s’est arrêté, mais l’application Ki@ continuera. Les utilisateurs trouvent cela utile et 43% d’entre eux sont prêts à payer, quel que soit le coût, pour continuer à profiter de ses avantages.
Quelle est la prochaine étape dans le développement de l’application ?
La suite dans le développement de l’application est le déploiement de notre plan de durabilité qui nous donne des orientations pour évaluer les options de génération des revenus, les coûts et les bénéfices. A long terme, nous comptons faire de cet outil une plateforme assez innovante qui permet aux acteurs des chaînes de valeur agricoles d’avoir une panoplie d’informations utiles pour faciliter leur prise de décision éclairée afin de renforcer leur résilience aux effets néfastes des changements climatiques. Nous réfléchissons par exemple à intégrer à Ki@ l’assurance agricole dans les années à venir. Donc, nous sommes sur le bon chemin.





























