« Montrer aux élèves que l'Afrique fait partie de l'histoire du monde »
ENTRETIEN. Faire entrer l'Afrique dans
les classes ? Coconseiller pédagogique de la saison Africa2020, Naïl
Ver-Ndoye explique le cheminement adopté avec Alexandre Lafon.
Naïl Ver-Ndoyer et Alexandre Lafon sont conseillers
pédagogiques pour la saison Africa2020. Ils ouvrent de nouvelles fenêtres sur
et avec l'Afrique.
« Comprendre un point de vue
africain » et « casser les barrières physiques et mentales ».
L'objectif de la saison Africa2020 – déplacée à 2021 en raison
de la pandémie de Covid-19 – est d'envergure. Et pour mener à bien cette
mission, la commissaire générale du projet N'Goné Fall peut compter
sur l'équipe « Éducation » de la saison, un « pilier » du
« partage et de la transmission d'un nouveau regard sur l'Afrique »,
a-t-elle affirmé lors de la présentation à la presse de l'événement. Depuis septembre 2019, les historiens Naïl Ver-Ndoye et Alexandre
Lafon planchent, en tant que conseillers auprès du ministère de l'Éducation nationale, sur
la manière de faire entrer l'Afrique dans les classes de France.
L'appel à projets, lancé d'octobre 2019 à janvier 2020, est un
succès auprès du corps professoral de la métropole comme des
DOM-TOM : sur les 300 propositions
reçues, 274 reçoivent le label Africa2020.
Échanger sur la démocratie africaine avec
les planches du dessinateur burkinabè Glez, parler de biodiversité avec les
élèves de l'école Louis-Gregory de Pointe-Noire au Congo ou
apprendre des chansons en langue locale : des ambitions qui pourront se
concrétiser dès janvier prochain. Fort d'une expérience de plus de dix ans dans
l'Éducation nationale, Naïl Ver-Ndoye, ancien professeur des écoles, de collège
et de lycée, dévoile au Point Afrique les multiples projets à
venir. Et explique pourquoi le sujet est d'importance.
Le Point Afrique : En tant que
conseiller auprès du ministère pour les ressources pédagogiques, pouvez-vous
nous expliquer en quoi consiste votre travail ? Quelles sont vos
missions ?
Naïl Ver-Ndoye : Concernant les ressources, avec mon collègue, nous avions deux
objectifs. Recenser l'existant, soit compiler la documentation déjà produite en
rapport avec l'Afrique, et à partir de là, créer de nouvelles ressources.
Celles-ci ont pris des formes diverses. Nous proposons bien sûr des documents,
mais aussi des parcours de formation aux enseignants pour les sensibiliser au
continent, et des partenariats avec des événements culturels. Grâce au LyonBD
Festival, plusieurs classes de la région auront le privilège, en juin prochain,
de travailler avec les bédéistes africains présents à l'événement, sur leurs
propres planches. Le partenariat conclu avec le Festival international du
court-métrage de Clermont-Ferrand permettra, quant à lui,
aux élèves de la ville de travailler avec les réalisateurs de quatre œuvres
africaines sélectionnées par le festival.
Présentation de l'exposition en
partenariat avec Cartooning for Peace. © Yemi
Une exposition avec le collectif
Cartooning for Peace est aussi au programme. Douze panneaux de dessinateurs de
presse africains seront présentés, sur des sujets aussi divers que la jeunesse,
l'immigration, l'écologie et le droit des femmes. Les enfants seront invités là
aussi à créer leur propre dessin, en s'inspirant des artistes qu'ils ont
étudiés en classe. Et nous n'avons pas oublié la gastronomie, un pan culturel essentiel de l'Afrique,
souvent négligé. Un partenariat avec le lycée professionnel hôtelier Belliard,
à Paris, est en cours. Des séquences d'enseignement autour de la cuisine
éthiopienne, sénégalaise, malienne, y seront proposées cette année.
Avez-vous conservé les ressources
existantes ?
Nous avons gardé ce qui n'était pas
caricatural. Nous avons, par exemple, exclu les documents qui essentialisaient
l'Afrique à sa ruralité. Mais durant nos recherches, nous sommes aussi tombés
sur des initiatives intéressantes, comme des travaux sur la littérature
jeunesse du continent. Nous avons également trouvé une séquence destinée aux
classes de maternelles qui utilisait l'awalé, un jeu de société bien connu en
Afrique, pour expliquer le principe du dénombrement. On l'a également retrouvé
dans des leçons de classes de terminale, dans des séquences sur les
probabilités. En ce qui concerne l'éducation physique et sportive (EPS), il y a
aussi de bonnes surprises. La lutte sénégalaise, sport national dans le pays
aussi prisé que le football, est assez bien documentée. Elle peut être choisie
par les professeurs en maternelle pour appliquer le programme sur les jeux
d'opposition.
Pouvez-vous nous préciser quels outils
allez-vous remettre aux enseignants ?
Un quizz multiniveaux est déjà en ligne sur
le site du réseau Canopé avec lequel nous travaillons. Il permet aux
professeurs de proposer à leurs élèves une séance « découverte »,
avant de se lancer dans une séquence dédiée au continent. Tous les élèves de
CM2, soit près d'un million d'enfants, vont recevoir un exemplaire spécial du
journal Un jour, une actu qui leur présentera seize
personnalités de l'Afrique contemporaine. Les enseignants de maternelle auront
également à leur disposition un manuel dédié aux artistes contemporains
africains, qu'ils trouveront aussi en ligne. L'occasion pour les élèves et les
professeurs de travailler sur autre chose que les masques.
Bien sûr, ils font partie de la culture
africaine, mais nous avons eu envie de montrer que celle-ci est beaucoup plus
diverse. Surtout, c'est à cet âge que se figent beaucoup de préjugés et d'idées
préconçues sur l'Afrique, souvent réduite à des tam-tam, des cases, et même
parfois à des totems, des objets amérindiens. Au-delà de la documentation
propre, neuf heures de formation numérique seront aussi proposées aux
formateurs académiques, qui pourront à leur tour transmettre ces savoirs aux
professeurs. Le but est de leur montrer l'Afrique autrement, mais aussi de leur
expliquer comment monter des partenariats avec des écoles africaines pour des
projets.
Pensez-vous que, jusqu'ici, ce genre
d'outils manquait au corps enseignant ?
On peut dire, c'est certain, que la plupart
des outils n'étaient plus adaptés. L'Afrique va vite. Elle n'est plus du tout
celle des années 1980-1990. Ces dernières années, son développement a été
fulgurant dans tous les domaines. Notre objectif, auprès du ministère, est donc
de montrer aux élèves et au corps professoral que l'Afrique ne subit pas la
mondialisation et l'histoire du monde. Aujourd'hui, elle en fait partie
intégrante.
Selon vous qui êtes historien et
spécialiste de la culture, quelle est la place de ce secteur dans le
débat ?
Pour mener à bien nos objectifs, la
culture a un rôle primordial. La commissaire générale de la saison Africa2020,
N'Goné Fall, nous a d'ailleurs accompagnés dans la conception des documents.
Notre volonté sur ce projet a été de donner à l'art contemporain africain la
place qu'il mérite. La richesse de la palette musicale africaine va au-delà de
« Mamadou a mal aux dents » [une chanson comptine que beaucoup
d'enfants apprennent à l'école, NDLR]. Pour les élèves, nous avons
compilé les répertoires musicaux
de cinq artistes du continent, qui chantent en langue locale. Un
linguiste nous a aidés à retranscrire phonétiquement ces chansons, pour
qu'elles soient accessibles à tous. L'occasion là encore de mettre à profit la
diversité culturelle africaine.
Après la saison Africa2020, vos outils
pourront-ils intégrer les programmes scolaires ?
Ce n'est pas l'objectif principal. La
construction des programmes scolaires est un processus long et complexe. Mais
l'Afrique attire de plus en plus, il y a une forte demande de la société. Avec
ce projet, nous avons au moins posé des bases. Reste à savoir si cela saura
convaincre les décisionnaires.
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