Depuis juin 2023, le Bénin a un nouveau ministre des Affaires étrangères. Le parcours de banquier d’Olushegun Bakari contraste avec la tradition qui veut que cette fonction soit généralement occupée par des experts en relations internationales. Dans un entretien accordé à l’Agence Ecofin, il a partagé sa vision de la diplomatie.
Lorsqu’en juin 2023, il vient remplacer Aurélien Agbénonci en tant que ministre des affaires étrangères, le choix d’Olushegun Bakari a de quoi surprendre. Un banquier vient remplacer un diplomate de carrière en place depuis 2016. Certains se mettent alors à évoquer des réalités politiques ou des situations spécifiques. Pourtant, la nomination de l’ancien banquier semble plutôt liée à son profil. Avec une formation en mathématiques et en finances, Olushegun Bakari a connu divers environnements de travail et diverses missions. Et c’est peut-être sa capacité à s’adapter qui lui vaut aujourd’hui de conduire la diplomatie du pays dans une période marquée par des changements importants dans les relations internationales.
Un Béninois né au Congo
Olushegun Adjadi Bakari est né dans les années 80 à Pointe-Noire au Congo, de parents béninois. Pourtant ses premières années seront profondément liées au Bénin. « Beaucoup pensent que je suis quelqu’un qui a grandi en dehors de l’Afrique alors que pas du tout. J’ai eu mon Bac au Bénin, j’ai été dans les écoles publiques béninoises jusqu’en classe de 4e, puis dans un établissement privé, le collège de l’Espoir où j’ai eu mon Bac en 1997 », nous confie Olushegun Bakari.
Olushegun Bakari avec son homologue chinois Wang Li.
Après son baccalauréat, il passe le concours d’entrée à l’Institut National d’Economie, devenue aujourd’hui Ecole Nationale d’Economie Appliquée et de Management (ENEAM). « J’y ai été boursier de la république à l’époque où les classes de statistiques comportaient 20 ou 25 places dont une dizaine de boursiers. Donc j’ai fait mes trois années en filière statistique », raconte-t-il. Pendant cette période, il est élu à la tête du bureau étudiant, le Bureau d’Union d’Entité et participe même aux joutes électorales au sein de la Fédération Nationale des Etudiants du Bénin (FNEB). « Beaucoup de ceux qui sont passés par la FNEB sont aujourd’hui députés ou dans le sérail politique béninois », confie-t-il.
« J’ai eu mon Bac au Bénin, j’ai été dans les écoles publiques béninoises jusqu’en classe de 4e »
Après ses études, il passe 18 mois dans une entreprise familiale, le Centre Touristique Bimyns qui abrite également la radio Weke. Cette première expérience professionnelle plus axée sur les questions commerciales lui permet de découvrir le Nigeria. « Le centre était proche de la frontière entre le Nigeria et le Bénin, donc je passais souvent côté nigérian pour des missions de prospection », se souvient Olushegun Bakari. Après cette expérience, il part poursuivre ses études à l’extérieur.
Un parcours professionnel de 15 années en France
Il passe d’abord 6 mois dans un kibboutz en Israël, dans le cadre d’un échange offert aux jeunes Africains pour découvrir la culture et l’économie israélienne. Il rallie ensuite la France en 2002. « J’ai d’abord intégré l’université de Lille où j’ai eu une maitrise de mathématiques. Ensuite je suis rentré à l’école supérieure de commerce de Lille qui s’appelle maintenant SKEMA. J’y ai fait un master en finances. La dernière année de mon master, j’avais la possibilité de la faire en alternance », raconte Olushegun Bakari. Il fait donc son alternance au sein du groupe de prévoyance Vauban, qui fusionne en 2006 avec Humanis.
Il passe d’abord 6 mois dans un kibboutz en Israël, dans le cadre d’un échange offert aux jeunes Africains pour découvrir la culture et l’économie israélienne.
Il est ensuite recruté par ALD Automotive, une filiale du groupe Société Générale qui le fait passer du statut d’étudiant à salarié. « Ils sont depuis devenus le leader européen dans les solutions de mobilité. J’y suis resté presque 2 ans avant de partir chez BMW France en tant que responsable financier de l’entité française. Ça a été une découverte du monde de l’automobile, puis je suis revenu à la Société générale juste avant la crise Kerviel au début de 2008 ». Il entre à la direction des finances et de la stratégie où il travaille en tant que superviseur des résultats du groupe, puis en tant que responsable stratégique des activités de banque et de financement.
En 2011, il passe dans les activités commerciales, « ce qu’on appelle dans la banque des activités de front ». Il est nommé responsable sénior en charge des groupes automobiles français. « J’avais comme client Peugeot, Renault ou Michelin. J’étais en charge des relations globales de la Banque avec ces clients et ça a été l’occasion pour moi de découvrir la Chine, parce qu’à cette époque les groupes automobiles français étaient en plein processus de découverte du pays. J’ai accompagné par exemple Citroën au lancement de ses activités en Chine », se souvient Olushegun Bakari.
« Une opportunité s’est présentée de rejoindre les équipes du président Faure Gnassingbé au Togo »,
Il est ensuite nommé directeur en charge des activités de financement structurel pour des pays africains. « J’avais le Nigeria et tous les pays d’Afrique Australe. Mon rôle était d’accompagner les grandes entreprises françaises et européennes dans la réalisation de grands projets d’infrastructure notamment dans le domaine énergétique sur le continent africain », se rappelle-t-il. Olushegun Bakari s’occupe par exemple de la centrale Azura Edo au Nigeria. « J’ai eu à évaluer des projets de centrales nucléaires en Afrique du Sud et j’ai financé le projet du corridor de Nacala au Mozambique ».
« J’ai été actif pendant la campagne de 2016 aux côtés du candidat Abdoulaye Bio Tchané au premier tour. Au second tour, nous avons soutenu l’actuel président Patrice Talon.»
Dans le même temps, il s’engage sur le terrain politique au niveau du Bénin. « J’ai été actif pendant la campagne de 2016 aux côtés du candidat Abdoulaye Bio Tchané au premier tour. Au second tour, nous avons soutenu l’actuel président Patrice Talon. Dans cette période, j’ai ressenti une forte envie de rentrer en Afrique et une opportunité s’est présentée de rejoindre les équipes du président Faure Gnassingbé au Togo », explique Olushegun Bakari.
Retour en terres africaines
Olushegun Bakari quitte la Société générale et rejoint le Togo en juillet 2016 pour accompagner la mise en œuvre de stratégie d’électrification et de transition énergétique du pays. « Après, mes fonctions se sont élargies à d’autres sujets, le financement du développement et le financement de projets. Je suis resté au Togo de 2016 à 2021 ». Il est notamment nommé ministre conseiller à la présidence. Son apport à cette fonction lui vaudra d’être élevé au grade d’Officier de l’Ordre du Mono, par le président togolais.
Pourtant, l’appel du secteur privé ne tarde pas à se faire entendre. Il décide de quitter ses fonctions au Togo en 2021. « J’avais envie de revenir dans le secteur privé. Avec d’autres partenaires, j’ai contribué à la création du fonds d’investissement Atif ((Africa Transformation and Industrialization Fund), basé à Abu Dhabi. Un de nos premiers investissements a été M Auto », raconte-t-il.
« J’avais envie de revenir dans le secteur privé. »
L’entreprise se spécialise dans le domaine des véhicules électriques qui propose la « mobilité en tant que service » sur le continent africain. Pour mettre en œuvre la stratégie, je suis entré au sein de la structure en tant que PDG. « J’en étais là quand le président béninois Patrice Talon m’a demandé de rejoindre ses équipes d’abord en tant que ministre conseiller des investissements et ensuite ministre des affaires étrangères », confie-t-il.
Un ministre des affaires étrangères débutant dans la diplomatie
Le 6 juin 2023, Olushegun Bakari est nommé ministre des affaires étrangères. Si la nomination semble étonner certains, le nouveau ministre ne se sent pas dépaysé dans ses nouvelles fonctions. « Après quelques mois à occuper cette fonction, je trouve assez de similitudes avec le métier de banquier relationnel. A la base de tout il y a le contact humain. Et le travail de ministre des affaires étrangères tel que je le conçois aujourd’hui, c’est de maintenir les bonnes relations pour que la voix du Bénin compte et permettre d’identifier toutes les opportunités possibles pour améliorer le quotidien des Béninois », explique le ministre des Affaires Etrangères.
Pour lui, le ministère des affaires étrangères est assimilable à un milieu de terrain au football. Il doit s’assurer que les défenseurs ne soient pas submergés par les adversaires et que l’attaquant ait des ballons pour marquer des buts. « Notre rôle au sein du ministère des affaires étrangères, c’est d’ouvrir des portes et de permettre au Bénin d’avoir accès via les contacts, par exemple au sein des Nations Unies, à des opportunités pour des accords et autres collaborations bénéfiques », explique-t-il.
Pour lui, le fait d’être un néophyte dans la diplomatie ne l’empêche pas de remplir sa mission. « Le fil conducteur des choix que j’ai à faire dans mes différents parcours, c’est la volonté d’avoir un impact positif sur la vie des gens, qu’ils soient mes congénères béninois ou africains. C’est ce qui a guidé ma décision de quitter mes fonctions de banquier d’investissement en France, pour rentrer d’abord au Togo et aussi de quitter mon aventure entrepreneuriale pour venir au Bénin », raconte-t-il.
« Dans tous les métiers que j’ai connus, j’ai eu à faire au changement et j’ai dû m’adapter. »
Pour Olushegun Bakari, les nombreux changements effectués durant son parcours professionnel l’ont même préparé idéalement à sa tâche de ministre des affaires étrangères. « Dans tous les métiers que j’ai connus, j’ai eu affaire au changement et j’ai dû m’adapter. Quand vous passez d’un métier purement stratégique à de l’automobile, c’est un changement. Lorsque vous passez de banquier relationnel pour être un banquier transactionnel qui négocie directement des deals dans le détail, c’est un gros changement. Et puis quand, après avoir passé 15 ans en Europe, je rentre en Afrique prendre un travail de conseiller de Chef d’Etat, c’est un gros changement par rapport aux milieux et aux environnements que j’ai connu. Je crois que dans ces transitions, l’important c’est de les aborder avec beaucoup d’humilité. Il ne faut jamais venir en se disant qu’on sait tout, avec des idées préconçues. Il faut prendre le temps d’écouter les autres et de comprendre pourquoi ils font les choses d’une certaine manière avant d’envisager des changements », détaille le ministre béninois des affaires étrangères.
Une vision plus technique de la diplomatie
« Quand je suis arrivé aux affaires étrangères, j’ai pris 4 mois à former mon équipe. J’ai d’abord écouté les différentes personnes qui y travaillent pour savoir quelles étaient les habitudes au niveau diplomatique et leurs raisons. C’est seulement après cela que j’ai décidé des changements à apporter », nous confie Olushegun Bakari. Pour le ministre béninois, la diplomatie béninoise doit progressivement s’adapter à un environnement général plus technique que par le passé. « Je continue toujours de murir ma vision de la diplomatie. Je me pose la question de savoir si, dans un monde où chacun a accès à internet, à Chat GPT, à tous les comptes rendus sur les situations qui surviennent, la diplomatie peut rester la même. Par exemple, à la COP (conférence des parties sur les affaires climatiques), il est difficile de suivre un échange si vous n’avez fait que de la diplomatie. C’est extrêmement technique », explique-t-il.
« On veut peser au sein des instances internationales mais il ne faut pas oublier que les discussions au sein de ces instances sont de plus en plus techniques et de moins en moins généralistes.»
Pour Olushegun Bakari, la diplomatie béninoise doit également intégrer plus de techniciens dans le futur. « Aujourd’hui, nous avons des experts de plusieurs secteurs autres que la diplomatie qui mènent les relations étrangères de leur pays. Ils viennent avec leur technicité et la culture de la diplomatie leur est apportée par-dessus. Je pense que c’est cette mutation que nous devons apporter au ministère des affaires étrangères du Bénin. On veut peser au sein des instances internationales mais il ne faut pas oublier que les discussions au sein de ces instances sont de plus en plus techniques et de moins en moins généralistes. C’est ce que nous allons essayer de faire dans le futur avec mon équipe constituée de diplomates chevronnés sortis des écoles de Relations Internationales », confie-t-il.
Pour le ministre, si le Bénin a l’objectif par exemple de négocier des accords commerciaux, il faudra avoir en plus des diplomates, des spécialistes des accords commerciaux impliqués. Cette mutation, Olushegun Bakari compte la mener avec l’humilité et l’adaptabilité acquise durant son parcours professionnel. Ses premiers mois à la tête du ministère béninois des affaires étrangères sont marqués par la conclusion d’accord d’exemption de visas du pays d’Afrique de l’Ouest avec des partenaires comme le Sri Lanka et le Bahamas. Sa première situation compliquée, il la gère depuis quelques semaines avec les tensions entre le Bénin et le Niger. Cette affaire lui donnera l’occasion d’expérimenter les résultats que peut obtenir sa vision de la diplomatie en situation de crise.
Propos recueillis par ecofin