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Comment les entreprises de sécurité russes et chinoises exercent leurs activités en Afrique (rapport)

Le rapport indique que les sociétés de sécurité russes et chinoises adoptent des approches distinctes en Afrique. Les entreprises russes préfèrent opérer dans des environnements instables pour sécuriser certains régimes et mener des campagnes d’influence, tandis que les sociétés chinoises évitent les zones à risque, en raison principalement de leur manque d’expérience dans les conflits. 

Alors que l’expansion des entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD) chinoises en Afrique suit avant tout une logique économique orientée par la protection des ressortissants et des actifs de l’empire du Milieu, leurs homologues russes se concentrent davantage sur des considérations politiques et géostratégiques, selon un rapport publié en juin 2024 par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), un think tank français spécialisé dans les questions de sécurité internationale.

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Intitulé « Entreprises de services de sécurité et de défense russes et chinoises en Afrique : deux modèles concurrents ? », le rapport précise que la Chine et la Russie se sont affirmées depuis les années 2000 comme des acteurs de premier plan en matière de sécurité internationale et ont, à ce titre, considérablement développé leur influence sur le continent, notamment via les ESSD.

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La présence des ESSD chinoises en Afrique s’est véritablement renforcée depuis le lancement de l’initiative des nouvelles routes de la Soie (BRI) en 2013, et l’expansion massive des intérêts économiques chinois sur le continent. Les recherches basées sur des sources ouvertes en chinois montrent que plus de 20 ESSD de premier plan en Chine sont désormais actives dans près de trente pays africains à l’instar de China Overseas Security Group, Beijing Huayuan Security Guard Service et VSS Security Group.

La majorité des ESSD chinoises identifiées en Afrique appartiennent à catégorie d’entreprises « fournisseuses de ressources de niche ». Elles proposent des services marchands qui incluent l’évaluation des risques, la formation, l’escorte et la protection armée ou non armée de sites.

Ces sociétés servent avant tout à protéger les ressortissants chinois, dont le nombre sur le continent est estimé à plus d’un million, et les intérêts économiques de la Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique, avec un volume d’échanges s’élevant à 282 milliards de dollars en 2022.

Ces sociétés servent avant tout à protéger les ressortissants chinois et les intérêts économiques de la Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique, avec un volume d’échanges s’élevant à 282 milliards de dollars en 2022.

Les ESSD chinoises suivent avant tout la présence économique chinoise pour s’implanter sur le continent. Le Nigeria et l’Afrique du Sud, où les diasporas chinoises sont les plus importantes, abritent ainsi le plus grand nombre de ces sociétés. Ces dernières sont aussi particulièrement actives dans la Corne de l’Afrique et l’Afrique orientale compte tenu des intérêts chinois dans la zone, de sa place stratégique et des risques sécuritaires latents (piraterie, terrorisme, instabilité politique, etc.). Elles sont également installées en Afrique australe et centrale, notamment pour la protection des sites miniers.

Ces entreprises n’opèrent pas, ou seulement de manière limitée, dans des pays à haut risque tels que le Mali, la Centrafrique ou la Libye. Cela s’explique d’abord par un manque d’expérience des entreprises chinoises, habituées à opérer en Chine, où les menaces sécuritaires sont réduites. Elles peuvent dès lors être en difficulté pour protéger leur personnel et leur client face à une détérioration soudaine de la situation sécuritaire (attaque terroriste, coup d’État, prise d’otages, etc.).

Les sociétés chinoises présentent des défaillances chroniques

En Afrique comme ailleurs, les sociétés d’État et les institutions officielles telles que les ambassades et les instituts Confucius sont les premiers clients des ESSD chinoises. DeWe Security protège par exemple un projet de gazoduc de 4 milliards de dollars entre l’Ethiopie et Djibouti pour le groupe chinois Poly-GCL Petroleum.

Si les ESSD chinoises maintiennent une présence relativement discrète et guidée par des considérations principalement économiques en Afrique, elles se distinguent de leurs homologues occidentales en ce qu’elles contribuent en même temps à renforcer l’influence et le contrôle de l’État-Parti chinois. En dépit de leur nom, les sociétés de sécurité privée chinoises ne sont pas réellement « privées ». Le ministère chinois de la Sécurité publique (MSP) et ses bureaux aux niveaux provincial et municipal continuent de superviser les sociétés de sécurité et d’orienter leur internationalisation, y compris par le biais de contrats. Une grande partie des cadres dirigeants des ESSD ont fait leur carrière au sein du MSP ou de l’Armée populaire de libération (APL).

Dans certains cas, le ministère de la Sécurité publique sous-traite des activités de collecte de renseignement aux ESSD, notamment pour faciliter l’identification d’opérations illégales dans des pays africains.

Le rapport note également que les activités de ces sociétés se diversifient progressivement pour englober des opérations liées à la sécurité maritime et aux services d’audit de sécurité et de gestion de crise. Certaines ESSD chinoises à l’instar de Frontier Services Group (FSG) développent aussi de nouveaux modèles qui dépassent la sécurité stricto sensu et intègrent du soutien logistique et/ou technologique, voire des activités économiques dans le secteur des ressources naturelles. Au Nigeria, FSG a été ainsi autorisée à opérer comme une société de services pétroliers. En RD Congo, cette même société possède depuis 2015 une petite entreprise de transport routier, Cheetah Logistics. En 2019, FSG a ouvert une nouvelle filiale, Frontier Services Group Congo, qui couvre un mandat plus large, dont « l’exploration, l’exploitation et la commercialisation des minéraux », l’exploitation forestière, la sécurité, les transports et la construction. En janvier 2023, elle a ainsi signé un accord pour le projet de reconstruction et d’expansion de la mine de cuivre de Kinsevere.

Ces évolutions du modèle chinois de sécurité privée ne doivent pas pour autant masquer plusieurs défaillances chroniques. Si l’industrie chinoise de la sécurité dispose en apparence d’une main d’œuvre énorme, l’offre de personnel apte à opérer à l’étranger est insuffisante. La majorité des employés ne disposent pas des compétences linguistiques ou techniques requises. Leur formation aux armes à feu est perçue comme inadéquate, et ils manquent généralement d’expérience en matière de combat, de négociation ou de gestion de crise. Ils peinent également dans le domaine du renseignement et de l’anticipation.

Des activités associées aux intérêts géopolitiques de la Russie

Le rapport souligne d’autre part que la présence d’au moins dix ESSD russes a été suspectée ou confirmée sur le continent africain entre le début des années 2000 et fin 2023, dont Wagner, Anti-Terror Orel (Angola, Nigeria et Sierra Leone), Moran Security Group (Centrafrique, Kenya et Nigeria) et Vega/Vegacy Strategic Services (Somalie). Pour la totalité de ces ESSD, des signes de présence ont été détectés dans vingt pays.

Globalement, les sociétés de sécurité russes se caractérisent par l’absence d’un statut légal défini, la relation opaque qu’elles entretiennent avec l’État russe et un cercle d’oligarques, tels que Evgueni Prigojine et Guennadi Timtchenko, ainsi que par la présence en leur sein d’anciens membres des forces armées russes.

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Le manque de visibilité de nombreuses ESSD russes s’explique essentiellement par l’omnipotence de la société Wagner, qui a réussi à développer une forte influence sur le continent. Avec une présence confirmée dans cinq pays (six en comptant le Mozambique, où la société était déployée en 2019 avant de se désengager), des soupçons de présence dans sept autres, et un champ d’activités allant de l’appui militaire et la protection de régime à la manipulation de l’information, Wagner se distingue nettement de ses « consœurs ». Cette entreprise est souvent décrite comme une société militaire privée (SMP), en raison de ses activités qui incluent la fourniture de services de sécurité et de soutien militaire dans divers conflits à travers le monde. Toutefois, Wagner n’est pas régulée de la même manière que d’autres entreprises privées de sécurité, et son champ d’activités dépasse largement celui des SMP.

La société fondée par Evgueni Prigojine s’est affirmée comme le principal outil d’influence russe en Afrique. Ses activités sont souvent associées aux intérêts géopolitiques de la Russie.

La stratégie russe sur le continent repose sur la coordination d’actions militaro-sécuritaires, économiques, diplomatiques et informationnelles visant à rehausser la position globale de Moscou et sa perception en tant que grande puissance, à refaçonner l’ordre international selon sa vision, et à réduire l’influence occidentale.

La stratégie russe sur le continent repose sur la coordination d’actions militaro-sécuritaires, économiques, diplomatiques et informationnelles visant à rehausser la position globale de Moscou et sa perception en tant que grande puissance, à refaçonner l’ordre international selon sa vision, et à réduire l’influence occidentale.

Dans le cadre de cette stratégie, les activités de Wagner s’inscrivent dans les volets militaro-sécuritaire (déploiement de troupes en soutien à des opérations, protection des gouvernements en place, sécurisation d’infrastructures stratégiques telles que les mines), économique (exploitation de mines par des entreprises affiliées à Prigojine, protection de gisements pétroliers ou encore commerce du bois) et informationnel (opérations de manipulation de l’information par des entrepreneurs d’influence et usines à trolls affiliés à Prigojine).

La mort d’Evgueni Prigojine, un tournant majeur

Alors que la Russie demeure un « nain économique » en Afrique, l’appui sur des entités privées comme Wagner lui permet de minimiser les coûts inhérents à un engagement militaire, tout en maximisant les gains et les effets produits (résonance médiatique) dans un contexte de restrictions économiques (sanctions internationales).

Ainsi, Wagner cible en priorité les pays où Moscou a des intérêts et où une crise politique ou sécuritaire est survenue. Ce faisant, le groupe confirme qu’il n’est pas une entreprise classique, en contrevenant notamment à la logique entrepreneuriale, qui tend à privilégier les marchés stables.

Jusqu’en 2023, le groupe contribuait à la fois à la mise en œuvre de la stratégie et des objectifs de politique étrangère du Kremlin, tout en répondant principalement aux intérêts économiques de l’oligarque à sa tête, Evgueni Prigojine.

La rébellion armée contre le Kremlin mené par le groupe paramilitaire suivie de la mort d’Evgueni Prigojine à l’été 2023 a cependant marqué un tournant majeur. Cette rébellion a entraîné une reprise en main par le Kremlin de Wagner, qui a été dans la foulée rebaptisée Africa Corps.

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En plaçant Africa Corps sous la tutelle directe du ministère de la Défense, Moscou affiche sa volonté d’instaurer un contrôle plus étroit sur les activités de Wagner et de s’appuyer sur un outil plus facilement contrôlable pour diffuser l’influence russe en Afrique.

Cette reprise en main implique cependant la perte d’atouts stratégiques. L’État russe ne pourra plus désormais se cacher derrière le corps expéditionnaire pour masquer ses intentions et ambitions. De plus, la création d’Africa Corps vient remettre en question le concept même de sécurité privée : peut-on encore parler de sécurité privée lorsque le lien avec le pouvoir est si direct et assumé publiquement ? À certains égards, Africa Corps fait davantage figure de nouvelle agence étatique.

Le rapport indique par ailleurs que les différences entre les ESSD russes et chinoises les rendent pour l’heure complémentaires, si bien que des formes de coopération sino-russe dans le secteur commencent à émerger.

Le rapport indique par ailleurs que les différences entre les ESSD russes et chinoises les rendent pour l’heure complémentaires, si bien que des formes de coopération sino-russe dans le secteur commencent à émerger. Ceci étant, compte tenu de l’ampleur des intérêts économiques chinois sur le continent africain et de la maîtrise par Pékin des modes d’action hybrides, on ne peut exclure que l’offre de sécurité privée chinoise vienne à terme concurrencer l’offre russe.

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