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Au Burkina Faso, des internats de filles pour franchir le cap de l’école primaire

Education en Afrique : « Allez les filles ! » (1). Un plan décennal a permis à la quasi-totalité des fillettes d’être scolarisées. Mais au-delà, seulement 40 % poursuivent dans le secondaire et 4 % dans le supérieur.

Education en Afrique : « Allez les filles ! » (1). Un plan décennal a permis à la quasi-totalité des fillettes d’être scolarisées. Mais au-delà, seulement 40 % poursuivent dans le secondaire et 4 % dans le supérieur.

Rasmata Kaboré n’est pas revenue au collège. Elle a tourné la page de ces années-là pour entrer au lycée. Alors que la pandémie due au coronavirus s’installait au Burkina Faso et que les écoles fermaient les unes après les autres, cette fille de paysan n’a pas eu à quitter l’internat où elle suivait ses études depuis quatre ans. Elle qui avait la chance d’être dans une classe à examen, a pu rester y préparer son BEPC, alors que toutes les classes intermédiaires se vidaient. Son examen de fin de collège en poche, Rasmata a intégré le lycée voisin de Koudougou, une ville du centre-ouest du pays.

Présentation de notre série « Allez les filles !

Comme elle, seize autres adolescentes ont laissé une place vacante à l’internat de Nanoro, ville plus proche de leur village. « A cause du virus, nos animateurs n’ont pas pu sensibiliser les familles pour offrir à de nouvelles collégiennes une place dans les internats », regrette Salam Ouedraogo, le directeur scolaire de l’association Res Publica. Seulement 148 lits sont occupés sur les 165 disponibles. Mais tous les espoirs de remplissage restent permis dans cette région qui se convertit doucement à l’éducation des filles.

Aventure scolaire

Il y a quelques années encore, l’aventure scolaire des enfants de paysans se terminait en fin de primaire avec une affectation précoce au travail des champs, et bien souvent un mariage arrangé. Si le Burkina affiche toujours le cinquième taux le plus élevé au monde pour les mariages d’enfants, avec une fille sur deux mariée avant ses 18 ans et une sur dix avant ses 15 ans, les mentalités évoluent malgré les résistances. « Ici, les parents préfèrent investir dans l’éducation des garçons, car la fille est considérée comme une “étrangère” qui devra partir vivre dans une autre famille », rappelle Naaba Karfo, roi et chef coutumier de Nanoro. Alors, « chaque année, les écoles perdent encore des écolières, mariées de force puis rapidement enceintes », regrette l’inspecteur de l’enseignement de la commune, Seydou Yameogo, qui a bien du mal ensuite à les réintégrer dans le système scolaire. Pauvreté, isolement géographique, pesanteurs sociales, mariages et grossesses précoces : au Burkina, où plus de 60 % de la population est analphabète et où 40 % vit sous le seuil de pauvreté, le chemin vers l’école reste pavé d’obstacles pour bien des jeunes filles.

Si Rasmata Kaboré a réussi, elle, à les franchir, c’est parce que son ambition est arrivée aux oreilles de Res Publica, une association française qui a mis en place un plan de scolarisation des filles. Yaya Ouedraogo, l’un de ses animateurs, a contrôlé les notes, parlé à l’enfant et proposé à la famille une place à l’internat monté par l’ONG. En une vingtaine d’années, leur initiative a réussi à multiplier par cinq l’effectif des filles dans sa centaine d’établissements scolaires, construits au cœur de trois provinces du pays.

Les bâtisseurs de ces écoles, le couple de Lyonnais Françoise et Jean-Claude Perrin, ont débarqué en 2001 au milieu des champs de sorgho et de mil de la région de Nanoro, dans le sillage d’un médecin français dont ils finançaient les missions. Le duo, qui observe alors les avancées sanitaires sur la zone, découvre la réticence des parents à envoyer leurs filles en classe. « Les familles modestes préféraient garder leurs enfants pour être aidées dans les tâches ménagères et les travaux champêtres », se rappelle André Kaboré, coordinateur local de Nanoro. Pour les inciter à changer d’avis, les deux Français décident d’octroyer des bourses aux filles avec leur argent personnel.

La localité, qui regroupe quatorze villages, ne compte alors qu’une dizaine d’écoles primaires et un seul collège public, ce qui oblige les élèves à parcourir plusieurs kilomètres à pied, et expose les fillettes aux agressions ou aux viols. Au Burkina Faso, si l’école est gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans, les familles doivent contribuer aux frais de fonctionnement des établissements, prendre en charge les déplacements et acheter des fournitures scolaires.

Convaincre les parents

Res Publica décide alors de construire seize nouveaux établissements – de la maternelle au lycée – avec trois internats féminins, et met ces infrastructures à la disposition du ministère de l’éducation burkinabé, qui y nomme des enseignants. L’association, elle, prend en charge les frais de scolarité des enfants des familles les plus démunies et met en place des cantines avec des repas préparés par les femmes du village, gratuits pour les enfants. Ce repas quotidien, parfois le seul, est un argument de plus pour que les enfants étudient et les femmes, elles, trouvent ainsi un travail.

Vingt ans plus tard, deux choses ont changé. « La parité est désormais assurée dans les écoles primaires entre filles et garçons », rappelle Jean-Claude Perrin. Ensuite, selon les données de l’association, les résultats scolaires de la zone ont progressé de 30 % depuis son intervention. « L’idée était de montrer que nous pouvions réussir à développer une région en injectant des deniers privés dans le “pot commun” », résume Fabien Pagès, directeur de Res Publica. Et ce ne sont pas les résultats de l’année 2020 qui démentiront ces acquis, puisque 100 % des candidats au BEPC ont été reçus. Un taux très supérieur à la moyenne nationale.

A Nanoro C, l’un des établissements primaires, construit en 2004 par l’association, les enseignants continuent le combat pour changer les mentalités « dès l’école ! », insiste Habibata Zela Sanogo. Au sein de sa classe, l’institutrice veille à l’équilibre des travaux de groupes et combat pied à pied les préjugés. Elle invite régulièrement d’anciennes élèves devenues pompière ou médecin pour montrer aux filles que « c’est possible ». L’équipe enseignante, elle, se déplace aussi dans les villages pour convaincre les derniers parents « récalcitrants ».

Croissance économique

L’enjeu de la scolarisation des filles reste énorme en Afrique subsaharienne, où vivent plus de la moitié des 61 millions d’enfants non scolarisés de la planète. Ces dernières années, le Burkina a réalisé des progrès significatifs grâce à un plan décennal, et le nombre de filles scolarisées dans le primaire est passé de 72 % en 2008 à 95 % en 2018. Mais la difficulté vient après. Seulement 40 % d’entre elles poursuivent dans le secondaire et 4 % dans le supérieur. « Les familles pensent encore qu’il suffit que leur fille apprenne à lire et à écrire. Ensuite, elle doit travailler pour ne pas devenir une charge », observe Rasmata Ouedraogo, directrice de la promotion de l’éducation inclusive des filles au ministère de l’éducation nationale.

Or, « si tous les adultes achevaient le secondaire, le taux de pauvreté dans le monde diminuerait de moitié », estime l’Unesco. Accès à l’emploi, meilleurs revenus, autonomisation des femmes : l’éducation contribue au développement de la croissance économique et à la baisse des inégalités, souligne l’agence onusienne.

Peu à peu, en terre burkinabée, cette prise de conscience fait son chemin. A son rythme. « Ma mère et ma grand-mère dépendaient de leur mari. Moi-même, j’ai dû arrêter l’école en CM2 et me marier à 18 ans. Alors je ne veux pas le même destin pour mes filles ! », Insiste Marie-Jeanne Kafando, une cultivatrice qui complète ses revenus en donnant des cours d’alphabétisation à un groupement de femmes de Nanoro. « Ici, beaucoup de mères sont encore analphabètes. Ces cours les aident à développer leur activité et à s’impliquer dans les devoirs de leurs enfants », raconte Mme Kafando, qui a pu elle-même payer les études de ses deux filles, car maintenant, elle gagne plus que son mari. « C’est moi qui l’aide ! », glisse-t-elle fièrement.

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